

Grèce: le destin douloureux de milliers d'enfants adoptés aux Etats-Unis
Joanna et Sophia utilisent un traducteur automatique pour communiquer entre elles. L'une ne parle qu'anglais et l'autre grec. Pourtant les deux femmes sont sœurs.
"Ce qui me fait le plus mal, c'est de ne pas pouvoir mener de conversation avec Sophia", regrette l'Américaine Joanna qui a retrouvé, en 2023, à 66 ans, sa citoyenneté grecque d'origine.
Joanna s'appelle Robyn aux Etats-Unis où elle a grandi et vécu toute sa vie après son adoption en Grèce alors qu'elle était un bébé d'un peu plus d'un an.
Elle fait partie des quelque 4.000 Grecs adoptés durant la Guerre froide, tout particulièrement dans les années 50 et 60. L'immense majorité a rejoint des familles américaines.
- Chapitre douloureux -
Il s'agit d'un chapitre douloureux mais encore mal connu de l'histoire mouvementée de la Grèce qui, après l'occupation nazie, s'est déchirée dans une guerre civile meurtrière (1946-1949).
"Il est désormais impossible d'ignorer les adoptions de masse et organisées d'enfants grecs aux Etats-Unis durant les deux décennies qui ont suivi la fin de la guerre civile", explique à l'AFP Gonda Van Steen, directrice du Centre d’études helléniques du King’s College de Londres qui a mené de longues recherches et rédigé un livre sur le sujet.
La Gréco-Américaine Mary Cardaras a mené campagne durant des années pour que ces enfants nés en Grèce et aujourd'hui sexagénaires ou septuagénaires puissent retrouver leur nationalité de naissance.
"Ce qui a suivi (les premières adoptions en Grèce) fut un tsunami d'adoptions internationales", poursuit-elle, citant notamment la Chine, le Vietnam, la Russie et surtout la Corée du Sud où au moins 140.000 enfants ont été adoptés par des parents étrangers entre 1955 et 1999.
"Au début des années 50, la Grèce a été le principal pays d'origine des enfants adoptés aux Etats-Unis", reprend Mme Van Steen.
"Des couples américains sans enfant étaient prêts à payer n'importe quel prix pour un nouveau-né blanc et en bonne santé", selon elle.
- Veuves, violées -
Souvent les mères biologiques de ces enfants étaient veuves, très pauvres ou avaient été violées. Dans la Grèce des campagnes, elles étaient montrées du doigt quand elles avaient eu un enfant sans être mariées.
"Elles n'ont vu aucune autre solution que de donner l'enfant pour qu'il ait 'une meilleure vie'", poursuit Mme Van Steen.
Aujourd'hui ces personnes adoptées jusqu'en 1976 peuvent retrouver leur nationalité de naissance grâce à une disposition légale adoptée en mai qui simplifie les démarches d'obtention de papiers en Grèce.
A la terrasse d'un café athénien, Joanna Robyn Bedell Zalewa extrait fièrement son passeport et sa carte d'identité grecs de son sac à main.
Bien que disposant notamment de son certificat d'adoption, elle a entamé ses démarches bien avant la nouvelle réglementation et a dû patienter longtemps avant de retrouver sa citoyenneté grecque.
"J'ai toujours su que j'avais été adoptée en Grèce", explique cette retraitée qui est née en Messénie, dans le Péloponnèse, avant d'être adoptée au Texas.
Comme pour beaucoup, son histoire est celle d'une quête opiniâtre de ses origines.
"Ce que j'ai toujours voulu durant ma vie entière, c'est retrouver ma famille", poursuit cette femme dont les yeux s'embuent de larmes lorsqu'elle évoque avec pudeur l'amour dont elle a tant manqué au sein de sa famille adoptive.
Elle a retrouvé ses frères et sœur en Grèce et même rencontré, avant sa mort, sa mère biologique, veuve avec 5 enfants à sa naissance.
Les liens qu'elle a tissés en Grèce l'incitent à y séjourner quand elle peut.
Mary Cardaras possède encore son passeport grec de naissance qui a été révoqué à sa sortie du territoire quand elle était bébé.
Cette ancienne journaliste, adoptée dans la région de Chicago et qui a longtemps vécu en Californie, a toujours su, elle aussi, qu'elle était originaire de Grèce.
- "Les odeurs, l'ambiance" -
Quand elle est revenue pour la première fois dans son pays natal pour des vacances d'été en 1972, elle a "regardé chaque visage de femme" dans la rue.
"Je me demandais(...) si c'était ma mère", explique-t-elle.
Tout lui semblait familier. "Les odeurs, l'ambiance, j'étais complètement à la maison".
"Mais c'est seulement quand mes parents (adoptifs) sont morts que j'ai vraiment commencé à m'interroger sur les premiers mois et années" de ma vie, souligne-t-elle.
L'obtention facilitée de la nationalité grecque constitue une avancée pleine d'émotions pour ces personnes à la biographie cisaillée.
L'une d'elles en a récemment témoigné sur les réseaux sociaux.
"A 12h47, heure grecque, j’ai reçu un message m’annonçant que je suis maintenant réintégrée comme citoyenne grecque! Je suis submergée d’émotion, ravie et sur un petit nuage!", a écrit Stephanie Pazoles sur Facebook.
P.Michel--MJ