

Etienne-Emile Baulieu: le père de la pilule abortive
De la pilule abortive à la lutte contre le vieillissement, Etienne-Emile Baulieu, mort vendredi à l'âge de 98 ans, a placé les questions de société au coeur de ses recherches qui lui ont valu une reconnaissance mondiale.
"J'ai toujours essayé de combiner la science et le progrès, les applications utiles au bien-être de l'Homme", déclarait celui qui se disait "libre chercheur".
Le bureau de l'unité Inserm au CHU du Kremlin-Bicêtre, qu'il a continué d'occuper même nonagénaire, témoignait du caractère foisonnant de ce scientifique ouvert sur le monde, bardé de prix et professeur au Collège de France.
Dans ce cabinet de curiosités s'entassaient masques africains, ouvrages de Pasteur, croquis du cerveau humain, sculpture offerte par son amie Niki de Saint-Phalle...
"Si je ne travaillais plus, je m'ennuierais je crois", confiait-il à l'AFP en mars 2023, alors âgé de 96 ans.
Proche d'Andy Warhol, ce passionné de littérature se disait "fasciné par les artistes, qui prétendent accéder à l'âme humaine, ce qui restera à jamais hors de portée des scientifiques".
Fils d'un néphrologue qui meurt alors qu'il n'a que 3 ans, Etienne-Emile Baulieu est né le 12 décembre 1926 à Strasbourg, sous le patronyme d'Etienne Blum. Entouré de deux soeurs, il est élevé par sa mère, ancienne avocate et féministe convaincue.
Réfugié à Grenoble pendant la Seconde Guerre mondiale, il prend le nom d'Emile Baulieu, puis d'Etienne-Emile Baulieu, et s'engage dans la Résistance au sein des Francs-tireurs et partisans, à l'âge de 15 ans.
Au sortir de la guerre, il entame un double cursus universitaire en sciences et en médecine et se spécialise dans l'étude des hormones stéroïdes.
- "Anti-hormone" -
Invité à travailler aux Etats-Unis, il est remarqué par Gregory Pincus, le père de la pilule contraceptive, qui le convainc de travailler sur les hormones sexuelles.
Fin politique, ce scientifique lui apprend aussi l'importance des réseaux et du "faire-savoir" pour faire avancer ses recherches et ses combats.
Etienne-Emile Baulieu deviendra un expert en la matière, n'hésitant pas à médiatiser ses découvertes et à user de son entregent pour obtenir des fonds, suscitant quelques jalousies dans le milieu feutré des labos.
De retour en France, le médecin découvre une "anti-hormone" qui s'oppose à l'action de la progestérone, essentielle à l'implantation de l'oeuf dans l'utérus.
La molécule RU-486, mise au point en 1982 par le laboratoire Roussel-Uclaf avec lequel il s'est associé, est une alternative médicamenteuse à l'avortement chirurgical, sûre et peu onéreuse.
La bataille pour sa commercialisation ne fait que commencer.
Traîné devant les tribunaux, diabolisé par les puissantes ligues américaines anti-avortement qui l'accusent d'avoir inventé une "pilule de la mort", ce père de trois enfants tient bon et fait plier Roussel-Uclaf qui avait renoncé à la distribuer.
"L'adversité glisse sur lui comme l'eau sur les plumes d'un canard", confiait à l'AFP la productrice Simone Harari Baulieu, qu'il a épousée en 2016.
En 1988, le ministre de la Santé Claude Evin ordonne au laboratoire de commercialiser la pilule, arguant qu'elle est la "propriété morale des femmes".
- DHEA et Alzheimer -
L'année suivante, Etienne-Emile Baulieu reçoit le prix Lasker, considéré comme l'antichambre du Nobel.
Dans les années qui suivent, il tente inlassablement de convaincre d'autres gouvernements d'autoriser la distribution de la RU-486.
Quand le droit d'avorter a été remis en cause en 2023 aux Etats-Unis, il a dénoncé "un retour en arrière" trahissant "fanatisme et ignorance".
Il avait parallèlement repris ses travaux sur la DHEA, une hormone naturelle, dont il pensait qu'elle peut retarder le vieillissement. Il en avait décrit la sécrétion par les glandes surrénales en 1963.
Fortement médiatisés, ses recherches ont montré des effets limités (raffermissement de la peau, baisse des dépressions, amélioration de la libido).
Malgré ces résultats décevants, le Professeur Baulieu, qui confiait en utiliser lui-même, a fait du grand âge son nouveau cheval de bataille.
Toujours actif bien après que l'heure de la retraite a sonné, il a créé en 2008 l'Institut Baulieu destiné à financer des recherches en vue de retarder le moment de la dépendance.
En 2010, à 83 ans, il publiait encore des travaux réalisés avec son équipe sur une protéine pouvant jouer un rôle dans la lutte contre la maladie d'Alzheimer. "Il n'y a pas de raison qu'on ne trouve pas de traitements", déclarait à l'AFP ce grand optimiste.
L.Moretti--MJ